Une coquille vide... Il se disait bien que c'était trop beau pour être vrai. Si l'on pouvait produire si facilement des unités du calibre du Freedom, ça se saurait - et il aurait été le premier à passer commande. Il s'était douté de quelque chose quand il leur avait demandé de l'affronter, mais en avait à présent la confirmation. Même dans le cadre d'un combat truqué, il aurait été difficile de maîtriser suffisamment une telle machine de guerre dès le premier essai pour ne pas balayer des unités de série de ce calibre.

Si le pilote de l'original arrivait à ne pas tuer ses ennemis même au coeur de la bataille, c'était surtout parce qu'il connaissait son appareil sur le bout des doigts en plus de présenter des qualités hors du commun même pour un Coordinateur. Et si chevronnée que puisse être la demoiselle choisie pour monter à bord, il doutait fort qu'elle soit capable d'une telle retenue dès son vol d'essai dans la mesure où elle avait tout l'air de le découvrir en même tant qu'eux.

S'il n'avait pas été si insensible aux risques encourus, sans doute aurait-il été rassuré à l'idée que ce modèle ne puisse concurrencer la puissance de feu de celui qu'il imitait à la perfection. C'est d'ailleurs quand elle s'approcha pour toiser l'engin de plus près comme il l'avait fait avant elle qu'il remarqua la broche épinglée à son col et la reconnut au premier coup d'oeil. FAITH ! Elle ne payait peut-être pas de mine, mais elle devait être plus redoutable qu'on ne l'aurait cru au premier coup d'oeil si elle avait été élue pour porter une telle distinction. Sachant cela, il ne retiendrait pas ses coups.

Il en profita pour la détailler plus avant. Si l'on excluait la pigmentation de ses cheveux, pour le moins inhabituelle - pour ne pas dire surnaturelle - elle avait une apparence somme toute assez commune, quoique trompeuse : jamais on ne la prendrait pour une militaire si elle se donnait la peine de s'habiller en civil et encore moins pour un soldat d'élite. Enfin, si bien sûr elle consentait à se débarrasser du sabre qu'elle portait elle aussi à la taille - Dark commençait à se dire que ce devait être un effet de mode. Ce qui l'étonna davantage était qu'elle soit extrêmement jeune.

S'il préférait la croire majeure - malgré le fait qu'il sache que ZAFT n'en serait pas à son coup d'essai sur l'enrôlement des mineurs -  elle ne devait pas avoir plus de la vingtaine. Même si la nature des coordinateurs voulait qu'ils arrivent rapidement à maturité à tout point de vue, il n'arrivait toujours pas à se faire à l'idée que l'on envoie des enfants sur le champ de bataille. Toujours était-il que quel que soit son âge, son appartenance aux forces spéciales en faisait un adversaire qu'il ne pouvait prendre à la légère. Il ne serait pas long à le regretter amèrement dans le cas contraire - du moins était-ce qu'il pensa en lui rendant son salut militaire. Il se tourna ensuite vers Anavel :

Puisque c'est sans risques, pourquoi faire appel à des mercenaires ? Je ne dis pas que cet exercice me déplait, c'est même tout le contraire, mais dans le cadre d'une procédure censée rester secrète il me semblait plus judicieux de faire appel à nos propres soldats ou même à des membres de FAITH comme cette jeune femme plutôt qu'à des personnes que rien n'empêchera ensuite d'aller vendre ce secret à l'ennemi... Sauf votre respect.

Cette dernière phrase valait tant pour Gato lui-même que pour Vergil et sa protégée. Créer de nouvelles tensions importait peu, mais ce n'était pas le but recherché. Il ne faisait qu'émettre un questionnement rationnel - tout en s'efforçant de ne pas trahir sa couverture en tant que soldat régulier de ZAFT par la même occasion. Il ignorait jusqu'à quel point les mercenaires à la solde de Nobunaga étaient fiables, mais dans son propre cas malgré une très nette préférence pour ZAFT il était clair qu'il ne refuserait aucune offre venant d'une autre faction. Et s'il était possible que ce soit du au fait que le Chancelier lui voue une confiance aveugle, il doutait que ce soit son genre. S'il avait inclus dans cette mission un membre de FAITH, supposée être constituée dans sa totalité de soldats émérite et au-dessus de tout soupçon, il ne voyait pas ce qui l'empêchait d'en réquisitonner deux autres pour la durée de cette mise en scène et c'était avant tout ce mystère qu'il espérait tirer au clair.

Dark accueillit ces explications avec scepticisme. On ne lui disait pas tout, il en était persuadé. Qu'elle ait été choisie parmi tant d'autres ne pouvait être du au hasard, on ne lui ôterait pas cette idée de la tête. Mais que cela lui plaise ou non, il faudrait qu'il s'en contente pour le moment. La mine toujours aussi neutre, il considéra Gato un long moment avant d'ouvrir à nouveau la bouche :

Comme vous venez vous-même de le dire, toute la valeur d'un tel subterfuge tient au fait qu'on le croie ou non. Si la vérité devait éclater au cours d'une bataille, le moral des troupes s'en ressentirait. Il n'est pas impossible que certains se retournent contre vous pour avoir tenté de les manipuler. Mais après tout, c'est vous qui voyez. Et puis, comme je vous le disais, je suppose que vous avez veillé à ne sélectionner que des personnes de confiance...

Son regard croisa le sien, éloquent. Le but n'était autre que de le déstabiliser, même rien qu'un peu, en lui exposant les failles de son plan. Il devait déjà les connaître ou du moins en avoir une vague idée, mais il était toujours bon de le lui rappeler. Et puis, il n'y avait pas de mal à mettre en valeur ses propres capacités d'analyse, d'autant plus si cela pouvait l'aider à affiner son plan. De son côté, il n'avait rien à craindre. En dehors des avantages qu'il pourrait en tirer à titre purement personnel, ce n'était pas son genre de réexploiter des informations d'une mission à l'autre.

Mais qu'en était-il de cette étrange jeune fille qui semblait aussi conditionnée que lui si ce n'est plus ? Et la première impression que lui avait fait Vergil n'était pas non plus spécialement pour le mettre en confiance, mais peut-être en était-il autrement pour le Chancelier Suprême. Qu'importe. Cela ne le concernait pas. Sachant désormais qu'il faudrait encore plus d'une heure pour que débute la simulation, il tira de sa poche son paquet de cigarettes et en porta une à ses lèvres sans encore l'allumer, les yeux rivés sur Gato dans l'espoir de le voir trahir la moindre réaction qui mettrait à mal l'aplomb qu'il ne cessait de démontrer à chaque instant. Des nerfs d'acier. Il doit bien falloir ça pour occuper un poste pareil. Bien content que ce soit pas mon cas.

Pas de question, non. En revanche, je serais curieux d'en savoir plus au sujet de ces machines plus utiles dont vous me parlez. Comme vous le savez, je m'y intéresse de près et serais ravi d'apporter mon aide sur les modèles en cours de développement, si bien sûr vous m'en donnez la permission. Mais chaque chose en son temps. Ce sera un Clanche pour moi, si vous n'y voyez pas d'objection.

Sur ces bonnes paroles, il se détourna de lui pour allumer sa cigarette - ou du moins, ce qui en avait l'allure. Gato n'aurait sans doute aucun mal à savoir que ces propos n'était pas anodin, Dark n'avait jamais caché son intérêt prononcé pour les machines ni ses compétences pour les entretenir - c'était d'ailleurs l'un des points mis en avant sur son CV. Si le maître des lieux souhaitait n'avoir pas à le payer en lui donnant à la place l'opportunité de se pencher sur les recherches encore en cours et pourquoi pas de se servir dans ce qui en résulterait en remerciement pour ses services rendus, il n'avait qu'un mot à dire.

En l'état actuel des choses, ZAFT devait, au même titre que les deux autres grandes puissances, avoir réuni de quoi constituer des unités dignes des légendes encore en vogue dans le milieu militaire même presque un siècle après, des matériaux qu'il lui serait impossible de se procurer par lui-même tant il devait être malaisé d'en trouver sans l'influence nécessaire. C'était d'ailleurs là tout le ciment de son « partenariat » avec ZAFT que de pouvoir en retirer certains privilèges, mais rien ne pressait et ils auraient tout le temps d'en discuter plus amplement une fois loin des oreilles indiscrètes.

D'une démarche souple, il se dirigea vers Meiya, ce qui lui permit au passage d'examiner le Ghost Freedom plus en détails. Quel dommage que ce ne soit qu'une reproduction. Même s'il aurait alors été en danger de mort, son âme de pilote ne pouvait que se demander ce qu'il aurait pu faire en étant confronté à un ennemi de cette envergure. Une question qui resterait éternellement en suspens. Enjambant les passerelles métalliques, il se dirigea vers celle qui aurait la chance - fut-elle illusoire - de prendre place aux commandes de cet appareil. Il l'accosta sans détours.

FAITH, hein ? On dirait qu'il va falloir que je prenne ça au sérieux... Je compte sur toi pour ne pas y aller de main morte.

C'est bien mal me connaître.

Au fond de sa poche, Dark jouait avec son briquet. Un des nombreux tics qu'il avait pris avec le temps pour pallier aux carences psychologiques que lui infligeait la perte du traitement sine qua non au bon maintien d'une condition stable. Ce n'était pas cher payé si c'était la le prix de la liberté, même si – il était le premier à en convenir – cela donnait parfois lieux à des gestes compulsifs inopinés. Rien de trop voyant toutefois, il lui était facile de masquer son état aussi longtemps qu'on le laissait fumer à son gré – ou, à défaut, disposer de son inhalateur comme bon lui semble. Fort heureusement, il n'avait que rarement, depuis toutes ces années, été dans une situation qui l'empêche d'accéder et à l'un et à l'autre et jamais assez longtemps que pour déclencher une crise à proprement parler.

Lui, se retenir ? Allons bon. Même s'il l'avait voulu, il n'en serait pas capable. Ce n'était pas dans les attributions d'un homme qui n'a rien à perdre et se permet en conséquence d'aller au-devant du danger même dans les situations les plus désespérées. Qu'elle se soit permis de le tutoyer alors qu'il était évident qu'il était plus âgé qu'elle était surprenant, d'autant plus que ce n'était très certainement pas dans le but de lui manquer de respect. Il n'était pas difficile de deviner que ce n'était pas dans son tempérament après avoir échangé quelques mots avec elle. Chaleureuse et familière comme elle l'était, elle tranchait assez nettement avec l'idée que l'Extended se faisait d'un membre de FAITH, censés être la fine fleur des forces militaires de ZAFT.

S'il ne remettait aucunement en doute ses capacités – ne les ayant pas encore vues à l'oeuvre il ne se serait pas permis d'émettre le moindre jugement, étant bien placé pour savoir que l'habit ne fait pas le moine – il en vint tout de même à se demander quels étaient exactement les critères de sélection pour y entrer pour qu'une fille aussi jeune et enjouée y ait sa place. Et apparemment une place de choix, si l'on en jugeait par le rôle très particulier que le Chancelier lui-même venait de lui conférer. Cette jeune fille était une énigme. Un mystère qu'il lui faudrait un jour percer. Mais ce n'était pas à l'ordre du jour, aussi se contenta-t-il de reprendre avant qu'elle ne réponde, portant une main à son col au même emplacement que celui où figurait le symbole ailé de la demoiselle et tapota le tissu vierge de tout insigne, sinon celui propre à chaque uniforme réglementaire.

Après tout, il faut au moins ça si je veux moi aussi un jour y avoir droit.

Elle était peut-être déjà dans la confidence à son sujet, ou s'en serait aperçue d'elle-même ; il ne pouvait pas savoir. Toujours était-il qu'il ne voyait pas quelle raison Gato aurait pu avoir de la prévenir qu'il n'était pas ce qu'il semblait être et que dans le doute, il ne pouvait qu'être préférable de brouiller les pistes. Relâchant une bouffée de fumée dans un soupir, il lui tourna le dos et, alors qu'il faisait mine de descendre de la plate-forme, jeta un coup d'oeil par-dessus la rambarde pour s'intéresser d'un peu plus près à la mercenaire emmenée par Vergil. Celle-ci semblait avoir avec lui un dialogue animé – enfin, aussi animé que l'on pouvait l'être quand on était aussi peu expressif qu'elle... Ou que lui. C'était une situation étrange, à bien y penser : la présence d'un homme de son importance aurait du lui mettre la puce à l'oreille.

Depuis quand quelqu'un de son calibre se déplace-t-il en personne pour chaperonner l'un de ses employés ? Cela n'avait aucun sens. Cette mission le laissait de plus en plus perplexe. Même s'il se plierait aux directives données sans discuter, nombre d'interrogations se bousculaient dans son crâne et l'incitaient à se pencher plus avant sur ces différents cas avant que leurs routes ne se séparent. Tenir une base de données au sujet de tout ennemi potentiel rencontré n'est après tout  que le b.a.-ba pour un mercenaire freelance et la moindre information sensible pourrait un jour lui sauver la mise. Sa pensée s'interrompit en cours de route quand le signal du départ fut donné et qu'il leur fallut se présenter aux portes du vaisseau censés les emmener sur les lieux de ce qui serait leur champ de bataille. Quel qu'en soit le résultat, il sentait qu'il pourrait tirer profit de cette mission – d'une manière ou d'une autre.

  Zone Libre.